Je vous invite à lire le billet d'humeur de la médiatrice du Monde, publié ce we.
Il est plein d'humour et démontre bien le caractère de Nicolas Sarkozy.
Bonne lecture

Plantu a aussi ses détracteurs, parmi les cégétistes, papistes et intégristes de tout bord choqués de voir leurs causes brocardées ou Pie XII faisant le salut nazi... Ils sont rares. Mieux vaut avoir les rieurs de son côté ; et chacun sait que, dans ce journal comme ailleurs en bonne démocratie, la liberté du dessinateur de presse est sacrée - le procès des caricatures de Mahomet l'a récemment confirmé.
Plantu, pourtant, n'a pas échappé aux batailles qui opposent les lecteurs à coups de courriels furieux, en cette fin de campagne présidentielle. Les « ségophiles » ont tiré les premiers, fin mars, pour déplorer qu'on « ressasse en boucle la «bravitude» » (Bernard Laplagne, Guebwiller) ou que le dessin fasse, « d'une femme plutôt jolie, une véritable mégère » (Henri Rosenthal, Paris), quand ce n'était pas une petite sirène, ou une « grande cruche ravie » (Pierre Bourdariat, courriel).
A la mi-avril, les partisans de « Sarko » ont contre-attaqué. Le premier, Claude Guérinon (courriel), s'est inquiété du ton des « premières pages d'actualité (...) cornaquées par l'ineffable et teigneux Plantu... ». De jour en jour, le tir s'est fait plus précis, accusant le dessinateur tantôt de « ségolâtrie ! » (Charles Maulino, Paris), tantôt de « vilenie » (Pierre Bergès, Toulouse), jusqu'à la vraie offensive, menée au lendemain du 22 avril. En quelques heures, une pluie de « dégoûts », de « blessures », accompagnées d'accusations (de « démagogie », de « haine », etc.) s'est abattue sur l'infortuné trublion.
Dans un même élan, les lecteurs s'offusquent du brassard rouge et noir, marqué « I. N. » (pour « identité nationale »), dont Plantu affuble régulièrement le candidat de l'UMP, ainsi que des mouches qui survolent son crâne de temps à autre. Ces attributs, réservés d'habitude à M. Le Pen, sont « une offense », disent-ils. « Il convient de modifier une caricature, dérive scandaleuse concernant le futur président de la République française » (en capitales dans le texte), écrit Jacqueline Le Goaster, en exigeant, comme plusieurs correspondants, que Plantu fasse amende honorable : « Présenter des excuses pour un comportement inacceptable me semble un impératif catégorique! . »
C'est très mal le connaître. Jean Plantu est de la race des provocateurs doux. Il accepte volontiers les critiques : « Les gens aiment ou détestent, il est très sain qu'ils l'expriment. » Mais les intimidations ne l'arrêtent pas, au contraire, elles le stimulent.
A preuve l'histoire des mouches. Succédant à une série de moustiques nommés « Sarkungugna », la première apparut sur un dessin du 14 décembre 2005. Jacques Chirac, très ému, déposait une gerbe à la mémoire des esclaves ; dans son dos, un élu UMP en short et casque colonial murmurait une traîtrise à l'oreille du ministre de l'intérieur. Il faisait chaud, la mouche volait bas, un peu par hasard, se souvient Plantu. Lequel fut fort étonné, le lendemain, de voir débarquer un motard en tenue, pour lui remettre une lettre à en-tête du ministère de l'intérieur.
Nicolas Sarkozy, après des compliments d'usage, disait : « Je n'ai pas manqué de remarquer un détail qui agrémente ma présence sur votre de! ssin (...) : une mouche. (...) Je sais qu'elles accompagnent généralement la représentation de Jean-Marie Le Pen. (...) J'ignore sincèrement ce qui me vaut un tel traitement, tant je considère avoir, tout au long de ma vie politique, combattu les idées de l'extrême droite : le racisme, l'intolérance, l'antisémitisme et, de manière générale, tout ce qui atteint l'homme dans sa dignité, à commencer par l'esclavage. » Suivait une proposition d'entretien pour dissiper le « malentendu ».
« Bien sûr, le lendemain, j'ai dessiné trois mouches ! », raconte Plantu en riant. Depuis, Nicolas Sarkozy a aggravé son cas en se plaignant auprès de la direction du journal d'avoir été croqué en petit chien, « en roquet », selon lui, puis d'avoir été affublé du brassard « I. N. ». « Il provoque lui-même la réaction qu'il redoute, note le caricaturiste . Là où il y a une mouche, il en crée trois... »
Notre impertinent dessinateur n'est pas un ingénu. Il « assume », dit-il, « son rô! le excessif ». Et explique pourquoi : « Je tords le cou à la rumeur. Depuis six mois, Le Monde est taxé, à tort, de rouler pour Sarko. Quand le président du conseil de surveillance, Alain Minc, a fait savoir qu'il voterait en sa faveur, j'ai eu d'autant plus envie de réagir, pour faire l'équilibre. Le fait est que, depuis trois semaines, on nous accuse beaucoup moins d'être sarkozystes... »
Force de l'habitude, les protestations, officieuses ou officielles, ne le touchent guère. « Je ne le vis pas comme une tentative de pression car j'ai la chance d'être soutenu par la rédaction et la direction du Monde. » Mais ailleurs, note-t-il, ce genre de méthode peut marcher. « Sarkozy impressionne tellement que, s'il y a un pétochard dans la rédaction en chef, la liberté du dessinateur est fichue. »
Le plus drôle, note le caricaturiste, est que Nicolas Sarkozy, qui lui reproche, pêle-mêle, brassard, mouches et petit chien, oublie un autre déguisement, pourtant récurrent ! : celui d'Iznogoud, le vizir félon qui veut être calife à la place du calife. « Il ne me reproche pas de le dessiner en traître. C'est curieux... »
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